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La lettre du Guide du Ciel

N° 183 | 1er février 2022

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Guillaume Cannat

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Pises
En moins de deux heures, l’ombre de la Terre et l’intense ceinture rose de Vénus que réfléchissait le miroir du lac des Pises glacé se sont fondues dans la nuit, laissant place à un paysage magnifié par l’éclat de la Lune gibbeuse. Que rêver de mieux pour ouvrir une longue nuit hivernale d’observation et de déambulation sous les étoiles ! Technique : ces deux images panoramiques ont été réalisées avec un boîtier Sony A7III et un objectif Zeiss de 55 mm. Le panorama du haut, réalisé dix minutes après le coucher du Soleil, est constitué de 8 images exposées 1/200 s à 4 (640 ISO) ; celui du bas, pris une heure et demie plus tard, est constitué de 16 champs et chaque champ est le résultat de l’addition de 15 images de 4 s à 3,2 (640 ISO).
© Guillaume Cannat


NUIT D’HIVER SUR LE LINGAS

Une rivière d’air glacé déferle des régions polaires balayant les brumes hivernales, déshabillant le ciel pour lui offrir une transparence irréelle que le crépuscule imprègne du rose adorable de la ceinture de Vénus. J’ai quitté le littoral à la mi-journée pour atteindre le col du Minier à l’heure la moins froide et commencer mon cheminement vers le Lingas sous un soleil que la neige exalte. Gainées de glace et de draperies floconneuses, les branches des hêtres et des sapins s’incurvent en une voûte amoureuse qui caresse les rares promeneurs. La piste de l’observatoire est une succession de plaques fouettées par le vent et d’épais amas cotonneux dans lesquels je m’enfonce jusqu’aux genoux. En contrebas, le lac pris par la glace réfléchit le bleu royal du ciel et les bourrasques jouent avec la neige sèche pour tracer des arabesques blanches à sa surface ; les tourbillons et les lancés éphémères de cette calligraphie aléatoire m’hypnotisent.

Sur les chemins jonchés de branches brisées, le manteau neigeux qui s’est déposé hier expose les traces que le sol nous cache habituellement et qui témoignent de l’omniprésence animale dans ce territoire reculé. Je marche un moment à côté d’un lièvre qui semble m’avoir précédé de peu tant la poudreuse est encore parfaitement incisée par les Y de ses empreintes. Il s’est arrêté, comme je le fais à présent, au bout du talus qui domine le lac et s’est assis pour contempler le paysage et réfléchir, estampant une petite cuvette arrondie dans la neige moelleuse. Sous les sapins, près de la coupole, un alignement de tirets alternés montre la course volontaire de la renarde habituée des lieux. Un peu plus bas, devant le hêtre sans cime, des marques cunéiformes gardent la mémoire d’une réunion d’oiseaux, ou bien était-ce le même qui est revenu plusieurs fois ? Au bord du ruisseau du Lingas, des sillons profonds attirent mon regard puis laissent la place aux empreintes bien dessinées d’une biche sur une écharpe de neige plus dure. Je m’interroge sur toutes ces traces et sur les animaux que vivent ici. Quelle que soit ma bonne volonté et mes efforts pour rester discret, nul doute que je les dérange et que je provoque leur retrait attentif. Ainsi, par ma seule présence, apparemment inoffensive, je modifie leurs rythmes et je transforme le paysage que j’admire. Immobile et silencieux sur le pont de bois qui enjambe le ruisseau, je perçois le murmure de l’eau qui s’écoule vers le lac dont la croûte de glace grince lugubrement : est-ce l’appui inconstant du vent qui fait gémir ce miroir hivernal ? Tout un réseau de rides et de fractures, certaines, plus profondes, surlignées par un fil de flocons, rappellent l’histoire mouvementée de cette modeste banquise.

Pises
Paysages du Lingas sous la Lune. Technique : boîtier Sony A7III avec un objectif Sony GM de 24 mm diaphragmé à 3,2, addition de huit poses de 8 s à 1 600 ISO.
© Guillaume Cannat

Le Soleil tombe derrière le col des Pises et je m’installe pour contempler la fin du jour. Subtil mélange d’ardoise et de cyan, l’ombre de notre planète s’élève à l’opposé du couchant et l’intense bandeau orangé qui la surmonte vire progressivement au rouge carmin avant de pâlir et de se métamorphoser en un rose de plus en plus fade qui s’étale et s’estompe avec la montée de la nuit. Les reflets sur le lac sont somptueux et la clarté du paysage diminue au fil du crépuscule, mais, au lieu de se perdre dans l’obscurité, les collines blanchies s’abreuvent à la source lunaire pour imposer leur rondeur mouchetée sous un ciel gorgé d’étoiles. La Lune gibbeuse fait scintiller la neige autour de moi créant de nouvelles constellations et, dans le silence profond de cette nuit de janvier figée par le froid, j’ai l’impression d’être entouré d’astres palpitants et de flotter dans l’espace. J’en suis là de mon rêve éveillé lorsque l’aboiement rauque d’une biche me ramène soudain sur Terre. Le paysage est toujours fantasmagorique, mais quelque chose a changé dans mon flux de pensées et je ne le perçois plus aussi intensément ; je me sens « à côté » et je bataille intérieurement pour rattraper le fil, mais l’instant a passé et le monde me semble plus terne.

Lingas
En lisière d’une hêtraie, dans la Réserve internationale de ciel étoilé du parc national des Cévennes. Technique : boîtier Sony A7III avec un objectif Sony GM de 24 mm diaphragmé à 4, mosaïque de deux champs, addition de cinq poses de 8 s à 2 500 ISO par champ.
© Guillaume Cannat

Songeur, je range mon matériel photographique, charge mon sac sur mes épaules et pars à l’aventure au bord du lac, guidé par le lampadaire sélène, posant mon trépied pour mémoriser une scène, m’arrêtant pour respirer après un passage plus ardu, profitant passionnément de la splendeur de ce Lingas virginal sous un ciel semé de joyaux innombrables. J’arrive ainsi en lisière d’une hêtraie aux arbres partiellement enneigés surmontés par de fines verges d’un brun foncé presque violacé. Le premier plan vivement éclairé épouse cette chevelure qui s’assombrit avec l’éloignement et se noie dans la voûte céleste. L’ambiance est fascinante, comme si se déployait devant moi un amphithéâtre tellement vaste que la lumière lunaire peinait à en atteindre le fond. Je laisse filer le temps pour apprécier cette sensation de relief à sa juste valeur avant de m’enfoncer dans la forêt. Les troncs des hêtres bardés de neige sont comme les colonnes d’une cathédrale gothique et la Lune éblouissante fait luire les arcs verglacés de leurs branches entrelacées. Les Trois rois d’Orion surgissent soudain dans un golfe de ciel clair ajoutant à l’enchantement. Je sors une pomme de mon sac, mon dîner, et me repose quelques minutes avant de poursuivre ma déambulation nocturne.

Orion
Entourée de reflets lunaires, la constellation d’Orion surgit entre les arbres. Technique : boîtier Sony A7III avec un objectif Sony GM de 24 mm diaphragmé à 5, addition de huit poses de 8 s à 1 600 ISO.
© Guillaume Cannat

 

LE GUIDE DU CIEL 2022-2023

Voici la couverture du prochain Guide du Ciel dont la rédaction avance bien et que vous pouvez déjà réserver en cliquant dessus...

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La vingtième édition est toujours disponible !

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Le Calendrier astronomique propose douze images imprimées en très grand format avec les informations nécessaires pour ne manquer aucun rendez-vous céleste : à suspendre dans votre cuisine, votre bureau ou votre coupole !

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À la fin d’une longue et glaciale nuit d’hiver, alors que les couleurs de l’aube s’emparent du ciel, le cœur de la Voie lactée s’extirpe de la pollution lumineuse engendrée par les villes de la côte méditerranéenne. Installé au sommet du mont Aigoual, je contemple à mes pieds les vallées très sombres de la bordure sud de la Réserve internationale de ciel étoilé du parc national des Cévennes. S’étendant sur près de 3 600 km2 ce territoire protégé des excès de l’éclairage artificiel constitue un refuge pour la faune, la flore et les amoureux de la nature et du ciel étoilé. Orbitant à 400 km d’altitude, la Station spatiale internationale trace un sillon lumineux dans le ciel alors que les poses photographiques s’enchaînent.
© Guillaume Cannat

 

TIRAGES D’ART

Gad Edery, fondateur de la Galerie GADCOLLECTION installée rue du Pont Louis-Philippe dans le Marais (Paris), m’a contacté ce printemps pour préparer une exposition de mes photographies de paysages célestes. Plus de quinze images sont déjà visibles sur le site de la galerie pour (re)découvrir mon travail nocturne !

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LES PLUS BEAUX RENDEZ-VOUS AVEC LE SOLEIL, LA LUNE ET LES PLANÈTES...

autour du ciel

Depuis que j’ai créé le blog Autour du Ciel sur lemonde.fr (janvier 2014), je mets en ligne régulièrement un billet de présentation des principaux rendez-vous astronomiques visibles à l’œil nu ou avec du petit matériel.
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© Guillaume Cannat | Février 2022